Recherches et vagues d’innovations sur nos rivages

De l’énergie, les Vigies du Minou en dépensent sans compter pour mener à bien leurs activités. Un luxe aujourd’hui alors que le prix du pétrole ne cesse d’augmenter.

Ce matin là, au pied du phare, une déferlante d’embruns salés explosait sur les rochers. Un doux rêveur aspergé émergeait de ses pensées. Tout au bout du promontoire, un ingénieur par la même vague éclaboussé s’écriait: « Eureka, j’ai trouvé ». Je vais transformer la puissance des houles, des courants marins, du vent, du choc des vagues sur les rochers en courant électrique.  

Grace à la baguette magique de la fée électricité et au talent de l’inventeur, le monde pourrait en être transformé.    

En 1889, déjà, à l’occasion de l’exposition universelle de Paris, Aristide Berges (1) inventait le terme de « houille blanche ». La force hydraulique de l’eau transformée en énergie électrique promettait alors un progrès considérable aux gigantesques appétits de l’industrie. Une révolution technologique se préparait, la « houille blanche » allait remplacer la « houille noire », le charbon. 

Pour mener à bien cette nouvelle enquête des Vigies du Minou, nous vous proposons de quitter momentanément notre littoral et de rejoindre cette fois la région grenobloise. Une autre foire internationale attirait alors de nombreux inventeurs. Qui sait, quelle rencontre nous pourrions y faire? 

Affiches: Exposition internationale de Grenoble 1925 – La Houille Blanche

Au pied des montagnes, au creux des vallées, la puissance des torrents des Alpes, une fois domptée, canalisée dans de longues conduites promettait alors, grâce à la seule force de l’eau, d’alimenter toute une région et ses industries en électricité. 

A Grenoble (2), en 1925, parmi les pavillons construits sur les 20 hectares dédiés aux nouvelles innovations, le grand palais de la houille blanche attirait tout particulièrement l’attention des visiteurs.

102 mètres de long, 37 de large et 18 de haut, sous sa voûte en béton armé, l’immense hall d’exposition présentait ici, un groupe d’électrochimie. Là, un autre d’électrométallurgie, des matériels hydrauliques et électriques tels que turbines, transformateurs, disjoncteurs.  Un véritable laboratoire permettait l’essai de différents appareils électriques.

Des maquettes reproduisaient plusieurs procédés d’utilisation de la force de l’eau.

Dans cette atmosphère électrique, au coeur de cette pépinière d’électrons rassemblés, un « Geo Trouvetout » agitateur d’idées avait fait le voyage. Charles Camus, vicomte de la Guibourgère tentait derrière son stand, au pays des montagnes, de démontrer les capacités de son invention. 

Pas de cascade en Bretagne, mais des vagues, elles aussi capables d’entraîner une dynamo et de générer de l’électricité.  Ses expériences et les brevets qu’il avait déposés démontraient la force motrice inépuisable de la houle. 

Charles Camus de la Guibourgère avait procédé à l’expérimentation de ses prototypes sur la plage de Sainte-Anne du Portzic à Brest. Complément de la houille blanche, l’inventeur présentait « La houille verte ».  

Quelle vienne des torrents des montagnes ou des houles marines, l’énergie cinétique des forces hydrauliques de la nature conjuguant leurs puissances, pourraient bientôt subvenir à nos besoins. 

Devant les premiers visiteurs attentifs, l’inventeur entamait ainsi sa démonstration théorique:

« La houle et les vagues provoquent des ondulations rythmiques, à courte période, mais à amplitude variables. Ces ondulations se trouvent dans toutes les mers et même au milieu du calme relatif de la surface de la mer, il se produit de grands sillons mobiles, des milliers de tonnes d’eau s’élèvent et s’abaissent alternativement en obéissant à des lois mathématiques dues aux vibrations circulaires des molécules d’eau. L’énergie représentée par la force vive de ces ondulations est considérable et c’est ce qui explique la puissance destructive et brisante des vagues, poussées par les marées, les vents et autres causes présumées mais insuffisamment connues jusqu’à ce jour.

Source: Archives départementales du Finistère

Exemple: En mer agitée, la vitesse des vagues peut atteindre jusque’à 25 milles marins soit 42 km/h et leur hauteur peut atteindre 10 mètres. La force vive MV2 c’est-à-dire le produit de la masse par le carré de la vitesse, donnerait pour ce cas, la force théorique de 2000 chevaux vapeur par mètre courant transversal. »

Source Archives départementales du Finistère

Sainte-Anne-du-Portzic le 17 octobre 1924 :

« Les essais ont été effectués au moyen d’un radeau de fortune  composé d’un châssis, sur lequel deux barriques vides de 200 litres étaient placées côté rivage. Du côté opposé du châssis était monté un ressort de voiture auquel était fixé un poids compensateur de 25 kg. /… / L’appareil était ancré sur un corps mort de 100 kg. 

Les 15 et 16 octobre, par mer calme, le mouvement de va-et-vient a été nettement visible et le mouvement alternatif du radeau de fortune a varié entre 20 et 40 cm.»

Source Archives départementales du Finistère
Source: Brevet d’invention Camus de la Guibourgère
Improvements in apparatus for utilizing waves energy GB228914A- 1925 11 19

Plusieurs brevets d’invention (3) furent déposés au ministère du commerce et de l’industrie par Charles Camus de la Guibourgère  comme celui-ci publié le 10 décembre 1925: 

 N° 576.942

 «Transformation en électricité des forces de la mer, courants, vagues, chocs sur les brisants »

Un système de chaînes actionnées par le mouvement de la houle et des ressorts compensateurs transmettent l’inertie de la houle aux instruments électriques situés sur le rivage. 

D’autres mesures – La puissance destructive des vagues

Une étude des Phares et Balises conduite par M. Petry en 1930 tente à mesurer les énergies déployées. Lors des tempêtes la puissance des houles peut atteindre mille chevaux par mètre linéaire de côte. Quels ouvrages construits en mer où en bord de côte pourraient résister à de tels coups de boutoirs? 

A cette époque, on connait mal la force que des coups de la mer peut donner contre un obstacle. Certains constructeurs estiment qu’il suffit de calculer les ouvrages pour résister à une pression de cinq tonnes par mètre carré. D’autres affirment que la mer peut exercer des effets équivalents à une pression de cent tonnes par mètre carré.

Même en dehors de phénomènes exceptionnels comme les raz de marée, les destructions sont fréquentes.

L’hiver 1930-1931 sera mis à profit pour effectuer ces mesures.

Le phare du Créach à Ouessant, le phare de la Jument, la tourelle du Chat au Raz de Sein et le phare du Minou participeront à ces observations. 

Au pied des phares, aux endroits les plus exposés aux tempêtes, l’appareil employé devra être robuste et des plus simples. 

Des tiges de fers cylindriques de différents diamètres seront encastrées dans une roche exposée à la mer. Dépassant de 50 cm de la roche, des fers de 10, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24 mm seront soumis à la force des vagues.  Les gardiens de phares veilleront à remplacer chaque fer plié par un fer droit dès que l’état de la mer le permettra.

On notera chaque jour l’état de la mer, le creux des lames, la période de la houle. 

(Au « Chat » de Sein, au pied de la tourelle, les fers seront posés en octobre 1929 et relevés en mai 1930).

Le 11 janvier 1930, à Ouessant au Créach, les observations effectuées sur les fers tordus par les vagues révèleront une force de 16 tonnes par mètre carré. 

Archives départementales du Finistère : Les fers seront encastrés dans la roche aux endroits les plus exposés
Source AD29 – Reproduire la torsion des fers au laboratoire

En 1961, un pieu mesureur d’effort fut installé à la pointe du Petit Minou. L’appareil conçu par l’électricité de France et notamment le laboratoire national d’hydraulique de Chatou était destiné à mesurer la force des lames. Le pieu était encore visible il y a quelques années comme en témoigne cette ancienne carte postale . 

Carte postale Edition Lapie. 1961, on craint alors des interférences entre le capteur de houle et les émissions radar (source Pharbal Brest)

Les travaux de recherches « d’EDF Lab Chatou » (4) se poursuivent aujourd’hui dans les domaines de la production d’électricité décarbonée.

Houille blanche (Aristide Berges), houille verte (Charles Camus de la Guibourgère) , houille bleue (le bélier hydraulique d’André Coyne), de toutes les couleurs, l’énergie hydraulique nous glisse encore partiellement entre les doigts. 

Sur le goulet, les recherches sur la production d’électricité à partir des  forces hydrauliques de la nature se poursuivent cependant comme à Sainte-Anne-du-Portzic. Les ingénieurs de l’IFREMER développent un projet de digue portuaire productrice d’énergie « DIKWE » (5) à quelques encablures du radeau de fortune capteur de houle imaginé en 1925 par Camus de la Guibourgère. 

Sources

Archives départementales du Finistère Quimper – Série S – Yannick Lenouvel – Rémy Salaun

Archives des Phares et Balises Brest : Rémy Salaun

Notes et références

(1) Aristide Berges: https://journals.openedition.org/lectures/11891

(2) Exposition Internationale de Grenoble:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Exposition_internationale_de_la_houille_blanche_de_1925

(3) Brevets d’invention Camus de la Guibourgère – 1922 – 1924 – 1925: 

https://worldwide.espacenet.com/patent/search?q=nftxt%20any%20%22Camus%22%20AND%20nftxt%20any%20%22Guibourgere%22

(4) EDF Lab Chatou https://www.edf.fr/groupe-edf/inventer-l-avenir-de-l-energie/r-d-un-savoir-faire-mondial/5-ans-edf-lab-saclay/edf-lab-chatou-75-ans-de-recherche 

(5) IFREMER Projet Dikwe

https://rd-technologiques.ifremer.fr/Actualites/A-la-Une/2022/Innovation-La-premiere-digue-portuaire-productrice-d-energie-au-monde-DIKWE-entre-dans-une-phase-de-tests-en-mer

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