Enquête en cours : le « V » du fort du Minou

Cette publication est une nouvelle enquête participative des Vigies du Minou. Comme pour les autres enquêtes de ce type, nous vous proposons nos hypothèses, réflexions et questions sur un sujet particulier, et nous vous invitons à apporter vos contributions et idées via les commentaires en bas de l’article, ou par e-mail.

Au dessus de l’entrée du fort du Petit-Minou on peut voir la lettre « V » gravée dans la pierre. Le temps, la météo et les lichens ont bien fait bien leur travail et ce « tag » a tendance à s’effacer de plus en plus.

Ce « V » était beaucoup plus visible dans le passé, comme on peut le constater sur les photos suivantes, datant d’après 1962 (date de la construction de la maison du gardien que l’on aperçoit sur les 3 clichés),

Lorsque l’on discute avec les Plouzanéens, on se rend compte que différentes versions circulent au sujet de l’origine de ce « tag ».

La plus improbable est certainement celle que le « V » serait la signature de l’ingénieur Vauban, qui a transformé la batterie du Minou en une redoute en 1695.

« Le Minou. C’est la batterie la plus avancée du goulet à la grande mer. […] On la ferme actuellement par derrière en redoute, la capacité du lieu ne permettant pas d’y faire autre chose ; [..] Les mortiers et le canon de cette batterie verront partie du mouillage de Bertheaume et l’entrée du goulet, elle est très bien placée. »

Vauban au roi, 15 juillet 1695, source Inventaire du patrimoine culturel en Bretagne

Cette hypothèse est évidemment peu crédible. En effet, ce genre de « V » n’apparaît pas sur les autres constructions (en très grand nombre) dues à Vauban, et surtout, l’entrée actuelle du fort date d’après 1695. Elle a en effet été modifiée vers 1856 :

Sur l’avis du comité des fortifications de fin 1844, les travaux s’étalent de 1845 à 1856 : les principales modifications concernent l’amélioration de la défense terrestre […] L’entrée du fort a été également remaniée : dotée d’une porte monumentale à pont-levis surmontée d’une bretèche, son style est épuré.

Guillaume Lécuillier, 2002, source Inventaire du patrimoine culturel en Bretagne

D’autres citent les alliés, qui en septembre 1944 auraient peint et gravé le « V » de la victoire sur le fort.

Certains évoquent même, avec humour bien-sûr, le « V » du nom d’une association qui s’occupe de mettre en valeur le patrimoine du littoral de Plouzané, les Vigies du Minou.

Mais qu’en est-il vraiment ? Et surtout, quelles sont les hypothèses crédibles et étayées par des faits ?

En premier lieu il est intéressant de se rappeler l’origine de la significations de la lettre « V » dans un contexte militaire ou de guerre. Dans l’histoire (assez) récente, l’utilisation la plus répandue du « V » est en effet celle du symbole de victoire (comme lorsque vous faites le « V pour victoire » à l’aide de votre main, en levant l’index et le majeur).

Le 18 mai 1939, le quotidien français Le Monde Quotidien titrait « V pour victoire ». Un peu plus tard, le 14 janvier 1941, l’ancien ministre belge de la justice et directeur des émissions belges en langue française sur la BBC, Victor de Laveleye, a proposé aux Belges d’utiliser comme emblème de ralliement un « V » pour « victoire » et « vrijheid » (en néerlandais : « liberté »).

Très rapidement, la Belgique, les Pays Bas et le Nord de la France ont été envahis de « V » écrits à la craie et à la peinture sur de nombreux bâtiments et monuments. Dans la foulée, la BBC a démarré sa campagne « V for Victory » (en anglais : V pour victoire), pendant laquelle un « V » sonore a été utilisé sous la forme du « rythme » de la lettre « V » en code Morse (trois points et un tiret). C’est ainsi que les premières mesures de la cinquième symphonie de Beethoven sont devenues l’indicatif des programmes en langues étrangères destinées à l’Europe occupée (le fameux « pom pom pom pooooom »).

Le mystère de ce « V » sur le fort du Minou semble donc être résolu par ce « pom pom pom poooooom ».

Or c’est sans compter sur la ténacité des Allemands de l’époque. Ceux-ci ont vite compris qu’ils ne pourraient pas effacer tous les « V » que la population des pays occupés commençait à inscrire un peu partout en Europe sur des bâtiments.

Les Allemands, et plus précisément les Nazis, ont donc organisé une contre-campagne de propagande. Idéalement, ce « V » aurait du signifier « victoire » en Allemand, or, en Allemand, « victoire » se dit « Sieg ». Goebbels, ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande du 3e Reich, a donc dû aller chercher du côté de l’antiquité, que les Nazis avaient par ailleur en admiration, pour trouver une nouvelle interprétation de la lettre « V ». Le « V » signifierait dès lors « Victoria », victoire en latin.

Le « V » des Nazis commence à apparaître dès 1941, souvent entouré par des feuilles de laurier, sur des véhicules ou des monuments (la tour Eiffel ou le palais Bourbon à Paris). De nombreuses affiches placardées dans les rues montrent également ce « V » Nazi, et il apparaît aussi sur des Bunkers.

On retrouve ce « V » Nazi entouré de lauriers sur plusieurs bâtiments à Brest et ses environs, comme on peut le voir sur les photos ci-après.

Mairie, hôtel de police, cliché du 24 septembre 1944, Image librement réutilisable, Brest Métropole
Extrait de la photo ci-dessus où l’on distingue bien le « V » entouré des feuilles de laurier
Caserne Fautras, 1944, Image librement réutilisable, Brest Métropole
Extrait de la photo ci-dessus où l’on distingue bien le « V » entouré des feuilles de laurier
« V » entouré de Laurier sur un hôtel, source inconnue
« V » avec laurier, visible encore aujourd’hui à Brest, collection de Ludovic Le Bras

Du coup l’énigme du « V » du Minou se complique.

S’agit-il d’un « V » du début de la 2e guerre mondiale, peint par la population locale, en vue d’affirmer le rejet de l’occupation allemande ?

Ou est-ce un « V » pour « Victoria », issu de la contre-campagne de propagande des Nazis ?

Pour le moment, il nous est assez difficile de savoir si, à une époque, le « V » du Minou était accompagné ou non d’une une couronne de lauriers, comme on peut les voir sur les clichés précédents.

Nous avons soumis un de nos clichés les plus anciens, datant d’après 1962, à un certain nombre de filtres en vue de faire ressortir certains détails moins visibles à l’oeil nu. Le résultat peut être observé sur la photo ci-après.

Le « V » du Minou, après plusieurs traitements d’une photo d’après guerre

Sur ce cliché, on croit deviner une couronne de laurier, mais ne serait-elle pas dûe à des artéfacts numériques ? Difficile en tout cas d’en tirer une conclusion incontestable à ce stade de l’enquête.

Sur une photo plus ancienne, datant a priori de 1949 (d’après une inscription sur la page sur laquelle la photo est collée), on a l’impression que l’endroit où se trouve le « V » a été recouvert d’un carré de peinture blanche.

Photo datant probablement de 1949, collection de Ludovic Le Bras

Cette photo a bien été prise après la 2e guerre mondiale, vu que l’aileron du fossé Est, détruit lors des bombardements alliés, n’est déjà plus visible. Un zoom sur cette photo, au niveau de l’entrée du fort a l’air de confirmer qu’à la place du « V » on voit un carré blanc.

Zoom sur l’entrée du fort, collection de Ludovic Le Bras

Des certitudes, des hypothèses, et des questions ouvertes …

Nous avons tendance à ne pas nous satisfaire de solutions dont nous n’arrivons pas à prouver la véracité par un élément de preuve, comme un texte, un schéma, une photo ou une « réalité terrain ».

Le cliché datant d’après 1962 soumis à des traitements semble indiquer des feuilles de laurier, mais cela pourrait aussi être simplement de la peinture ou craie qui aurait coulé avec les intempéries. La seule certitude que nous avons pour le moment est qu’il ne s’agit pas de la signature de Vauban, ce qui dès le début était l’hypothèse la moins cartésienne.

Le cliché de 1949 semble brouiller les pistes. Le « V » aurait-il été recouvert pour le masquer après la guerre ? Ou alors le « V » date-t-il d’après la 2e guerre mondiale avec une signification encore différente de ce que nous expliquons dans cet article ?

Chère lectrice, cher lecteur, si vous avez des éléments qui pourraient nous aider à boucler cette enquête, n’hésitez pas à nous contacter via les commentaires en dessous de l’article, ou par e-mail. Nous sommes notamment à la recherche de clichés de cette entrée du fort, datant de la période d’occupation allemande, ou juste après la 2e guerre mondiale, sur lesquels on pourrait distinguer s’il y a ou non des lauriers qui entourent un « V ».

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