Le sablier « Port-Launiste » coule près du Minou.

Dragage du sable au Minou – Collection privée – Le Petit Minou avant 1938

Traez, les amendements marins.  Nous avons déjà évoqué l’extraction de ces sables coquilliers au Minou.  Le carbonate de calcium contenu dans le sable d’origine calcaire en est le principal composant.

Pourquoi l’utiliser sur les terres acides ?

– Les sols acides ont un pH bas, ce qui nuit à la disponibilité de certains nutriments et peut être toxique pour certaines cultures.
– Le carbonate de calcium neutralise l’acidité du sol en augmentant le pH.
– Il améliore la structure du sol, favorise l’activité biologique, et libère certains éléments nutritifs.

Aussi loin que l’on s’en souvienne, les archives les plus anciennes en témoignent, le sable coquillier du Minou fut exploité par les cultivateurs et récolté par les marins. Du fond de la rade, les gabares venaient draguer, en fonction des saisons et des marées, les bancs de sable rechargés par la mer. 

Teneur en carbonate de calcium (1957) – Source: Morphologie du Léon

André Guilcher – Jeanne Lacroix  BNF Gallica

Ce que la mer vous donne, parfois elle le reprend, très durement. Ce métier de sablier n’était pas sans danger.  Les naufrages de gabares sablières aux abords de la pointe du Petit Minou en témoignent.

Trois articles du « Télégramme de Brest et de l’ouest », du 31 janvier au 9 février 1950 vont nous plonger dans cet environnement rude aux hommes, aux familles et aux navires.

Brest, le 31 janvier 1950:

Le bateau sablier « Port-Launiste », de Port Launay, commandé par le patron François KERGOURLAY, de Port-Launay, avec comme matelots  MM. Jean POUPON et Jean MATHURIN, tous deux de Châteaulin, avait pendant tout l’après-midi d’hier dragué du sable au Minou, à Plouzané, devant la propriété de M. Paul Du Buit ingénieur agronome.

Vers 17 heures, le bateau plein jusqu’au plat bord quittait le Minou au moment du jusant,  (marée descendante) contre le vent (secteur Est) et par très grosse mer. 

Ndlr: Les archives météorologiques de fin janvier 1950 indiquent une période où les températures nocturnes descendent sous 0°, du verglas sur les routes. En s’engouffrant dans le goulet, les vents de terre, de secteur Est fraichissent. Le sablier chargé va devoir affronter des courants et des vents contraires pour faire route vers Port-Launay. Son moteur de 30 CV. sera t-il assez puissant ?

Le TELEGRAMME : A un moment donné, l’un des matelots qui, pour se protéger du froid, était descendu dans la cabine pour y prendre un veston, remontait sur le pont lorsqu’il s’aperçu que le bateau coulait.

Il se précipita sur le canot annexe amarré à l’arrière du bateau. Il sauta après avoir détaché l’amarre. Auparavant il avait vu son camarade, qui ne savait pas nager, disparaître emporté par une lame. Quant au patron, il ne l’avait pas aperçu. Il avait lui aussi sans doute, été emporté par la mer.

Le canot dérivant et son naufragé furent, vers 18h00, jetés à la côte entre le Minou et le Mingant.

Le rescapé se rendit alors au phare du Minou. (NDLR: environ 2km)

Le gardien du phare, sachant que M. Du Buit avait le téléphone, se rendit précipitamment chez ce dernier.  C’est M. Du Buit qui alerta immédiatement l’inscription maritime pour lui annoncer le naufrage qui venait de se produire.

Le Minou ne répond plus – La maison du gardien en « réalité augmentée » – Réalisation des élèves ingénieurs de l’IMT Atlantique

Le canot de sauvetage de Camaret, le « Thaï » alerté se rendit immédiatement sur les lieux, ainsi que le remorqueur de 600 CV. le « Plougastel » de la direction du port de Brest.

Hier, vers 20 heures, les deux bateaux se trouvaient encore sur les lieux lançant des fusées afin de tenter d’apercevoir et de repêcher les disparus. En raison de l’état de la mer et de la nuit très opaque, il leur a été impossible de découvrir quoi que ce soit.

A 22 heures, un journaliste du télégramme apprend que le rescapé était hébergé au phare du Minou, où il aura passé la nuit. Le naufragé compte, dès les premières heures de la matinée, faire des recherches sur la côte en vue de retrouver son patron et son camarade.

Le rescapé est M. POUPON, 27 ans, demeurant avec sa mère 25 grande rue à Châteaulin, qui était un excellent nageur.      

Brest le 1er février 1950:  Le TELEGRAMME : Source (bibliothèque Yroise)

Après le tragique naufrage du Minou:

Le matelot Jean POUPON, seul rescapé nous dit comment le « Port-Launiste » coula comme un pavé dans la mer.

C’est sur un rocher escarpé, battu par une mer déchaînée, que ce trouve le phare du Petit Minou, relié au fort du même nom par un passage cimenté. 

Les rayons de ce phare, à feu fixe, mettent singulièrement en relief le délabrement du fort désaffecté.

Il était plus de 23 heures lundi soir, témoigne le journaliste, lorsque nous arrivâmes à l’entrée de cet ancien ouvrage militaire au pied duquel viennent se briser dans un bruit d’enfer les lourdes vagues enfantées dans l’Iroise.

Le gardien du phare, c’est Monsieur Clet THOMAS, un homme de devoir qui connait et aime la mer et les marins, sur la sécurité desquels il veille avec un soin jaloux .

Pour Monsieur THOMAS, la solidarité et la fraternité dans les heures d’épreuve ne constituent pas des qualités exceptionnelles. Sa maison est là, sur la droite un peu avant d’arriver à la tour du phare. En dépit de l’heure tardive, un peu de lumière filtre à travers les volets clos. Ces volets auxquels, tout à l’heure, un homme, un naufragé, est venu y frapper, sachant qu’il trouverait là, aide et réconfort.

Monsieur THOMAS nous accueille avec amabilité. (Ndlr: Son épouse Marie et leur fils Henri, 4 ans, dorment dans la chambre de leur petite maison blottie contre les rochers).

-J’ai appris que vous avez recueilli, il y a quelques heures, le rescapé du naufrage du sableur « Port-Launiste ». Est-ce exact?  – Oui, il est couché dans la chambre de repos du phare.  – Il était 18 heures exactement lorsque j’entendis frapper à la porte de la tour. Je vins ouvrir et je vis devant moi un jeune homme grelottant de froid sous ses vêtements trempés.

-Qui a-t-il?

-Je suis du sableur « Port-Launiste », de Port Launay. Notre bateau a coulé tout à l’heure sous le château. Mon patron et un autre matelot ont disparu dans la mer.  

Au phare, je trouverai de l’aide

Je fis immédiatement entrer le jeune homme dans ma cuisine. Il se déshabilla , je lui donnai un pantalon et un gros pull-over de laine. Après quoi je lui offris une belle rasade de rhum…

Après un repas au cours duquel il me conta les circonstances du naufrage, il alla se coucher dans la chambre du phare.

 -Il s’agit bien de Jean POUPON, n’est-ce pas?

 -Je ne saurais vous le dire. Je ne lui ai pas encore demandé son nom.

Sablier – borneur – « Port Launiste »
Source: https://www.henrykerisit.bzh/wp-content/uploads/sites/3/2016/10/port-launiste1.pdf

JEAN POUPON NOUS CONTE SA TRAGIQUE AVENTURE:

Accompagné de M. THOMAS nous nous rendons alors au phare. Jean POUPON est là, étendu sur sa couche, bien au chaud sous plusieurs couvertures de laine. L’émotion qu’il a ressentie, il y a environ six heures n’est pas encore calmée. Le sommeil le fuit. Il n’arrive pas à fermer l’oeil.

-Comment cela s’est-il passé?

D’une voix lasse Jean POUPON nous relate alors les minutes tragiques qu’il vient de vivre.

-Nous avions travaillé toute la journée à draguer du sable dans les parages du château, que les pêcheurs brestois connaissent bien pour y venir à la belle saison  pêcher le lieu, le maquereau et le tacaud.

Vers 16h45 le patron du « Port-Launiste », Monsieur François KERGOURLAY, 45 ans, marié et père d’une fillette de 7 ans décida de quitter les lieux. La houle était très forte, ainsi que la brise et la bateau était rudement secoué. Nous étions chargés au trois-quart du tonnage normal.

– Jean MATHURIN, l’autre matelot du bord était à l’avant du bateau, occupé à tasser le sable en vue de mettre les panneaux qui n’étaient pas encore en place. Le patron lui était à la barre.

– Etant en bras de chemise, je descendis alors dans le poste pour y prendre mon veston. En remontant sur le pont, je m’aperçus que le bateau avait pris une gîte terrible. L’eau couvrait déjà la moitié du pont. Nous coulions.

-J’aperçu le patron toujours à la barre. Quant à Jean MATHURIN, il avait déjà disparu.-

– Je me jetai alors à la mer soulevé par des vagues profondes.

– Je parvins à agripper un gros bidon d’essence vide. Puis tout à coup, je fus amené à proximité du canot amarré à l’arrière du Port-Launiste. Je parvins à y grimper. Je sortis mon couteau et coupais la bosse (cordage qui amarre le canot au sablier). A ce moment je vis le bateau s’enfoncer comme un pavé dans la mer profonde à cet endroit de 15 à 17 mètres. Je ne vis plus le patron à la barre.

– Sans aviron, je n’avais plus qu’à me laisser aller à la dérive, le vent me poussant vers le Mingam, c’est à dire vers Brest.

– A ce moment, à quelques mètres de moi, j’aperçus Jean MATHURIN qui, sachant à peine nager, se débattait dans l’écume des vagues.

-Jean! Jean! Au secours! cria t-il.

-Mais je ne pouvais rien faire pour lui, ne pouvant, faute d’un aviron ou d’un filin quelconque, lui venir en aide. En moins de dix secondes, la houle m’entraîna. Et je ne vis plus Jean MATHURIN. 

– Mon canot dérivant toujours, j’aperçus tout à coup, à quelques dizaines de mètres de moi de gros rochers où venaient se briser les lames. Je réalisais que si je restais dans le canot, je risquais gros. Je décidais à sauter à la mer et quelques minutes après, je prenais pied dans une petite crique que le gardien du phare a dit s’appeler le Goueny (Le Gwenni) entre le Minou et le Mingam. 

– Je n‘eus alors qu’une idée, gagner le phare que j’apercevais à ma gauche.  J’eus beaucoup de difficultés à trouver le chemin ne connaissant pas le pays. Je me perdis dans les landes. Et ce n’est qu’après une demie-heure, en courant pour me réchauffer, que je parvins ici, où Monsieur THOMAS a été pour moi d’une extrême gentillesse.  

A LA RECHERCHE DES DISPARUS:

Dès les premières heures du jour, M. Jean POUPON s’est rendu sur les rochers bordant le lieu où sombra le « Port-Launiste » un bateau de 24t.97 construit en 1929 et actionné par un moteur de 30 CV.

Il avait espoir de retrouver vivants ses deux amis. Mais hélas, ce fut en vain.

Dans la journée d’hier, il s’est rendu à l’inscription maritime de Brest, où il relata à M. l’administrateur en chef MONTFORT et à M. DUPOUX, inspecteur de la navigation les circonstances du naufrage.

Articles Le Télégramme janvier février 1950 – iIlustrations Vigies du Minou

Brest, le 9 février 1950: Le TELEGRAMME (Source Bibliothèque Yroise)

LES LIAISONS TELEPHONIQUES AVEC LE PHARE DU MINOU, INTERROMPUES.

Dans la soirée du 30 janvier, la gabare « Port-Launiste » coulait dans des circonstances que nous avons relatées, quelques minutes après avoir quitté le banc de sable du Minou. Ce naufrage coûta la vie, on le sait, à deux membres de l’équipage, le patron François KERGOURLAY et le matelot Jean MATHURIN.

Dès qu’il eut connaissance du drame qui venait de se produire, M. Clet THOMAS, gardien du phare du Minou, s’empressa de se rendre chez M. Du Buit qui, habitant de la commune de Plouzané, possède le téléphone. C’est de là que M. THOMAS alerta l’inscription maritime.

La D.P. (Direction du Port) fut de même prévenue. Le canot de sauvetage de Camaret, le « Thaï »  prit aussitôt la mer, tandis que de Brest appareillait le remorqueur de 600 CV. le « Plougastel ».

Port-Launay – Le quai des sabliers – collection privée

Quand les deux navires arrivèrent sur les lieux, ils ne réussirent pas à découvrir les malheureux marins qui avaient disparus peu après le naufrage du « Port-Launiste ».

Avant la guerre, le phare du Minou était relié directement par téléphone avec Saint-Mathieu qui, dans les cas urgents, alertait les services desquels il dépend. Il en est de même pour le phare de Kermorvan. Le Portzic n’est pas relié téléphoniquement mais il a pour lui le sémaphore.

L’occupation de l’ennemi bouleversa complètement le réseau téléphonique du phare du Minou et, à l’heure actuelle, comme nous l’avons dit plus haut, le gardien est dans l’obligation d’avoir recours au téléphone de M. Du Buit.

Il serait urgent de procéder au rétablissement des lignes téléphoniques qui existaient avant la guerre. Nous avons appris que ces travaux qui font partie des dommages de guerre, doivent être entrepris, sans tarder.

Ces liaisons téléphoniques rapides avec les services intéressés sont indispensables, à partir du Minou, où l’on sait que de nombreuses gabares viennent prendre leur chargement de sable.        

30 janvier 1950: Horaire des marées:  Pleine mer: 14h40  5,75m – Basse mer: 20h30 2,25m

Ephémérides: Lever du soleil: 08h49 Coucher du soleil: 18h14

La mer cette nuit là avait pris deux vies et un navire. Les intrépides marins embarqués sur leurs lourds navires de travail, payaient encore une fois un terrible tribut.

Le Guenny, là où vint s’échouer le naufragé du sablier « Port Launiste » – © Les vigies du Minou

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