Quand les matelots veillaient sur le Minou.

Le site du Minou nous offre aujourd’hui un belvédère à la vue imprenable sur la mer. Ce bastion, érigé sur l’une des premières incisives du goulet, a participé, au cours de plusieurs siècles, à la défense active des approches du port de Brest. Les Vigies tentent d’en percer les anciens secrets.

Aride de ses roches et de ses souvenirs, l’enceinte fortifiĂ©e se voulait impĂ©nĂ©trable sans un laissez-passer. Hier encore, en 1940 le fort du Minou fut hĂ©rissĂ© par l’envahisseur de barbelĂ©s.  La paix retrouvĂ©e,  gardant un oeil toujours vigilant sur le large, une tour fĂ»t Ă©levĂ©e au pied du phare en 1960. Sous son radĂ´me, futur sĂ©maphore, un radar surveillait alors discrètement le trafic maritime s’approchant de notre littoral.

Recherches et rares témoignages:

Aux archives, malgré notre persévérance, les miliciens gardes-côtes de Vauban sont avares de leurs révélations. Les canonniers de l’infanterie de marine restent muets. Aujourd’hui, le vétéran se remémorant sa carrière de sentinelle se laisse aller, parfois, à de rares confidences. Les secrets du Minou se chuchotent encore à voix basse.

Dans un prĂ©cĂ©dent article, « Un pompon rouge au Minou Â» nous Ă©voquions les souvenirs d’un des premiers matelots affectĂ© sur ce site en 1961.

https://www.lesvigiesduminou.bzh/index.php/2021/12/31/un-pompon-rouge-au-minou/

Quinze ans plus tard, 1974, 1975, de nouveaux témoignages confirment la vocation de sentinelle militaire du Minou.

Copains d’avant:

Nostalgie du temps qui passe, dispersĂ©s par la vie aux quatre coins de la France, quelques-uns de ces jeunes hommes, appelĂ©s du contingent se retrouvent bien des annĂ©es plus tard. Tradition perdue oĂą nos parents, originaires du mĂŞme village et de la mĂŞme tranche d’âge, se rĂ©unissaient chaque annĂ©e pour « la classe Â».  Grâce aux nouveaux rĂ©seaux, l’occasion est donnĂ©e de partager et d’évoquer aujourd’hui un Ă©pisode souvent inoubliable de la vie.

1974 – Deux sentinelles du goulet

Un service militaire au pied d’un phare: 

Lorsque la nuit efface nos repères, les Ă©clats blanc et rouge du Petit Minou guident les marins et les ramènent Ă  bon port. Au-delĂ  de l’horizon, par quel mystère influencent-ils nos rencontres? C’est ainsi que nous avons fait connaissance de Pierre et de Yves il y a quelques jours. Sans doute Ă©tions nous attirĂ©s par la mĂŞme lumière.  

50 ans après leur service militaire au fort du Minou, nos nouveaux amis  pourraient, Ă  travers nos dernières correspondances, nous rĂ©vĂ©ler quelques Ă©pisodes de la vie mystĂ©rieuse qui rĂ©gnait derrière les remparts de cette citĂ© alors interdite.

Bonjour Yves, pourriez-vous nous raconter votre découverte du Petit Minou à cette époque?

  • Je suis originaire de l’Aveyron, j’ai effectuĂ© mon service national dans la Marine Nationale de dĂ©cembre 1973 Ă  novembre 1974. Après dix jours de classes au Centre de Formation Maritime d’Hourtin, j’ai Ă©tĂ© provisoirement affectĂ© Ă  la station de transmissions du Cranou dans les Monts d’ ArrĂ©e. Deux semaines après, j’ai reçu mon affectation dĂ©finitive Ă  la Pointe du Petit Minou. 

Je vous laisse imaginer ma stupĂ©faction lorsque la voiture a atteint le promontoire qui domine ce site et que le chauffeur m’a dit : « On y est, c’est lĂ  ! ». Aujourd’hui on appellerait cela “ l’effet Waouh” !!!

Lors de la prĂ©sĂ©lection (les trois jours) effectuĂ©e avant mon incorporation, ma formation d’électronicien et de radio-amateur semblait intĂ©resser la Marine Nationale. J’aurais aimĂ© naviguer, voir du pays, faire des escales.   

Me voici Radio Technicien “RATEC” affectĂ© au fort du Minou. Ma fonction principale au Petit Minou consistait Ă  mettre en route le radar une fois par semaine et vĂ©rifier son bon fonctionnement. En cas de problème, une Ă©quipe de Thomson CSF venait sur le site et procĂ©dait aux Ă©ventuelles rĂ©parations. 

La maison du gardien de phare pouvait accueillir 4 Ă  6 matelots.
Yves, de mémoire, nous en a dessiné les plans

Il s’agissait Ă  l’époque d’un matĂ©riel de dĂ©tection plutĂ´t ancien. Sur les plaques signalĂ©tiques de l’unique moniteur vidĂ©o qui se trouvait dans grande la salle du blockhaus, on pouvait lire la date de 1951.  Le cĹ“ur de ce radar Ă©tait le fameux ”MagnĂ©tron” Ă  lampe Thomson. 

La mise en route du radar consistait Ă  se rendre dans la salle du premier (ou peut-ĂŞtre deuxième) Ă©tage de la tour. Il y avait lĂ  une grande armoire Ă©lectrique sur laquelle il fallait switcher toute une sĂ©rie de gros commutateurs  dans une sĂ©quence bien dĂ©terminĂ©e. 

Cette procĂ©dure dĂ©marrait toute l’électronique et mettait en rotation l’antenne sous le radĂ´me. La vitesse de rotation de cette antenne Ă©tait assez lente, en phase avec la vitesse de rotation du faisceau sur le moniteur de contrĂ´le dans le blockhaus. 

Surveillance et maintenance du radar:


Tout comme je l’ai lu dans votre article prĂ©cĂ©dent,  “Un pompon rouge au Minou”, il fallait de temps en temps pĂ©nĂ©trer sous le radĂ´me.  Pour cela il fallait, en haut de la tour, s’enfermer dans un sas de pressurisation, Ă©quilibrer la pression entre celle du radĂ´me et celle du sas (pas cool pour les tympans !). On montait ensuite par une Ă©chelle mĂ©tallique, on ouvrait alors une Ă©coutille et de lĂ , on accĂ©dait Ă  la plateforme sous le radĂ´me. Par un autre accès et sans contrainte de pressurisation, on pouvait grimper sur la passerelle extĂ©rieure entourant le radĂ´me.

Bien entendu, il fallait en permanence conserver une pression d’air correcte sous le radĂ´me. Celle-ci Ă©tait gĂ©rĂ©e automatiquement par un compresseur. 

En cas de coupure électrique du réseau, nous étions avertis par une alarme sonore qui retentissait dans le blockhaus. La nuit, le gardien de phare s’assurait de notre intervention en venant taper au carreau de notre maison. Cette complicité ne nous a jamais pris en défaut.

De mémoire, plan du blockhaus allemand (1941) et de son extension française (1960) abritant le poste de contrôle de la tour radar

Nous attendions alors quelques minutes que l’alimentation électrique se rétablisse automatiquement via le groupe électrogène Berliet. Le groupe alternateur se trouvait sous terre dans l’ancienne batterie à l’entrée du fort . Ce moteur diésel était entretenu par Pierre, c’était son joujou. Mon copain, matelot mécanicien, surveillait avec attention le bon fonctionnement de la centrale électrique de secours. Il fallait régulièrement vérifier le niveau d’eau des batteries, contrôler les niveaux d’huile du moteur.

Lors des tempĂŞtes,  alors que l’ alarme retentissait, l’attente entre la coupure du courant et le rĂ©tablissement de l’électricitĂ© Ă©tait plutĂ´t angoissante. 

Si le groupe ne dĂ©marrait pas, nous devions remonter sous la pluie et le vent jusqu’à l’entrĂ©e du fort munis de notre lampe torche. Il fallait dĂ©verrouiller la lourde porte blindĂ©e sous le porche. LĂ , sur un Ă©troit palier surplombant cet escalier sans fin, nous descendions prudemment Ă  20 mètres sous terre jusqu’au local technique protĂ©gĂ©. 

(N.D.L.R): La centrale Ă©lectrique de secours Ă©tait implantĂ©e dans l’ancienne batterie de rupture. Les Ă©normes canons de 320 mm transfĂ©rĂ©s en septembre 1915 vers le front de l’Est avaient laissĂ© place Ă  un groupe Ă©lectrogène.   

En revoyant votre vidĂ©o, j’ai tout de suite reconnu les lieux. 

120 marches Ă  descendre, si ma mĂ©moire est bonne. Comme un souterrain qui descendrait sous terre. L’atmosphère y Ă©tait plutĂ´t sombre et hostile jusqu’à la salle du groupe Ă©lectrogène. 

Le diésel alternateur entretenu par Pierre

La consigne en bas, avant d’ouvrir la dernière porte blindĂ©e, Ă©tait de bloquer les systèmes de protection incendie. Il fallait alors rĂ©ussir Ă  dĂ©marrer le groupe manuellement. Quel bonheur !!! 

Heureusement, lors de la grosse tempĂŞte de fĂ©vrier 1974 qui a fait pas mal de dĂ©gâts sur l’Ouest de la Bretagne, le groupe a dĂ©marrĂ© automatiquement. 

* N.D.L.R:  (16 janvier – 6 fĂ©vrier – 11 fĂ©vrier, trois tempĂŞtes marquent ce dĂ©but d’annĂ©e 1974 – Les forts coefficients de marĂ©es, 113 le 8 fĂ©vrier, vont entraĂ®ner des naufrages en mer et des dĂ©gâts Ă  terre dont d’importantes inondations). 

Il Ă©tait essentiel que la station soit toujours alimentĂ©e en Ă©lectricitĂ© pour le radĂ´me. En effet, une pompe maintenait en permanence une certaine pression afin que l’antenne rotative ne se retrouve pas en contact avec la protection sphĂ©rique (genre de caoutchouc Ă©pais) mĂŞme lorsque le radar Ă©tait Ă  l’arrĂŞt ! 

Et puis, entre nous, la pointe du Petit Minou était beaucoup plus photogénique avec un radôme bien gonflé et bien rond plutôt qu’avec un radôme en forme de torche !

Tout comme cela a été évoqué dans l’article “Un pompon rouge au Minou”, j’ai assisté à un exercice de largage de projectiles sur des bateaux virtuels en janvier 1974. Tout un état-major s’était déplacé pour l’occasion. A la suite de cet exercice, le premier-maître, Corentin, m’a montré comment développer les films dans la salle la plus basse du blockhaus.

Il y avait lĂ  plusieurs bacs dans lesquels nous avons versĂ© des produits de dĂ©veloppement. Il fallait ensuite  passer les films dans les bains en respectant des temps d’immersion dans chacun des bacs. Je me souviens surtout avoir respirĂ© un produit, pire que de l’ammoniaque. J’ai mis quelques instants pour retrouver mes esprits et ma respiration. Ce n’était pas le genre de produit Ă  conserver ouvert dans ses placards ! 

Le poste de contrôle du radar au niveau supérieur du blockhaus

Le Blockhaus Ă©tait ventilĂ© 24 heures sur 24, c’était assez bruyant Ă  l’intĂ©rieur. Tous les vendredis, une Ă©quipe de deux Ă  quatre personnes venait pour l’entretien de ce groupe. On les nommait entre nous « la goutte d’huile ». Leur intervention semblait bien souvent se limiter Ă  ce contrĂ´le.  

La vie au fort:


Mis Ă  part l’activitĂ© autour de ce radar, il y avait celles qui nous prenaient plus de temps. Concocter nos repas, entretenir le site. A nos moments de dĂ©tente, lecture, balades, quelques parties de pĂŞche et cueillettes de coquillages. Je me souviens d’un endroit en particulier oĂą, lors des grandes marĂ©es, il y avait de grosses moules de roche excellentes. Le vendredi au menu, il y avait souvent des langoustines achetĂ©es au marchĂ©, quel rĂ©gal.  Le soir, nous regardions la tĂ©lĂ©vision. Enfin, jusqu’à ce soir du 13 fĂ©vrier 1974 oĂą l’écran du poste s’éteignit. 

MalgrĂ© mes compĂ©tences en Ă©lectronique et les rĂ©parations que j’effectuais occasionnellement, la tĂ©lĂ©vision resta muette. L’antenne Ă©mettrice de Roc’h TrĂ©dudon venait d’être dĂ©truite par un attentat privant la Bretagne de ses trois chaĂ®nes tĂ©lĂ©visĂ©es. Dans la petite maison au pied du phare, pendant plusieurs semaines, Il fallut occuper nos soirĂ©es autrement.  

Et puis, je m’en voudrais de ne pas Ă©voquer les visites de notre plus proche voisin, Pierre Le Gall, le gardien du phare avec qui nous avons eu de longues conversations. Un sacrĂ© Monsieur qui est restĂ© dans ma mĂ©moire ! Une personne que je n’oublierai jamais car il m’a fascinĂ© par les histoires qu’il m’a racontĂ©es. 

Le Phare du Petit Minou guide les navires, la tour surveille le trafic maritime – 1974

Pierre m’a embarquĂ© quelques fois sur sa “plate” (petite barque Ă  fond plat) manĹ“uvrĂ©e uniquement Ă  la godille. Nous allions ainsi relever ses casiers aux abords du phare.  Ce sont d’ailleurs (moi qui rĂŞvais d’horizons lointains)  les seules fois oĂą j’ai pu “naviguer” durant ma pĂ©riode dans la Marine Nationale !

Cette fois lĂ , il avait capturĂ© une Ă©norme araignĂ©e dans ses casiers. Pierre s’amusait de notre curiositĂ© devant ce crustacĂ©. Tout d’abord Ă  essayer de le faire cuire, puis de la façon dont on pourrait le manger.  

Notre gardien de phare lisait beaucoup, s’intĂ©ressait aux autres, un sacrĂ© chic type !  Il m’est arrivĂ© d’aller faire des courses avec lui Ă  La TrinitĂ© ou Ă  PlouzanĂ© avec sa Simca 1100 spĂ©ciale. Je constatais bien souvent qu’il Ă©tait apprĂ©ciĂ© par tous ceux que l’on rencontrait. 

Aux heures de dĂ©tente – Du poisson frais pour ce soir.

Nous nous arrĂŞtions parfois au retour chez « MĂ©lie Â» au croisement de la route du Conquet et du Minou. Dans ce petit commerce, c’Ă©tait un capharnaĂĽm, un empilement de sacs, de cartons et de choses diverses. Et puis Pierre a demandĂ© une laisse pour son chien. En moi-mĂŞme, je pensais qu’il Ă©tait impossible de trouver cet article ici. Et pourtant … Emilie a grimpĂ© sur une chaise pour atteindre le haut d’une Ă©tagère Ă  droite de la porte d’entrĂ©e. Elle a retirĂ© un carton poussiĂ©reux et en a sorti des laisses. Et il y avait lĂ  le modèle qui convenait tout Ă  fait Ă  Pierre. Comme quoi, Amazon n’a rien inventĂ©.

Au Minou, je n’ai hĂ©las pas pris beaucoup de photos sur le site, hormis des photos de paysages. J’ai Ă©tĂ© trop respectueux des consignes concernant l’interdiction de prendre des photos sur ce site militaire. 

Sur le balcon du radĂ´me – Vue imprenable sur le goulet garantie

VoilĂ , un bref rĂ©sumĂ© de mes 10 mois passĂ©s au Petit Minou, il y a plus de cinquante ans maintenant ! 

Il me reste encore un souvenir ancré dans ma tête mais qu’il m’est impossible de transmettre : ce sont les fabuleux couchers de soleil sur Camaret certains soirs ; tout simplement fabuleux !

PS : Je vous joins quelques photos que j’avais prises à l’époque ainsi que deux cartes postales que j’avais achetées dans la boutique d’Emilie.

-Yves et Pierre après ces dix mois passés au Minou sont repartis chacun de leur côté vers de nouvelles rencontres et la vie qui les attendait.

Les mugissements de la corne de brume signalaient alors les dangers aux marins et rythmait nos nuits agitées.

Les copains d’avant, bien des années plus tard se sont retrouvés. Nous tenions ici à les remercier. Les maisons déconstruites, les blockhaus abandonnés figés dans leur silence, le mystérieux souterrain plongeant dans les entrailles du fort nous ont, grâce à eux, révélé quelques-uns de leurs secrets.

DĂ©sormais, lorsque nous nous rendrons sur ce belvĂ©dère, Il nous sera plus facile d’imaginer l’animation qui pouvait y rĂ©gner.  

Pierre Le Gall gardien de phare au Petit Minou

Nos deux matelots nous ont permis d’entrouvrir la porte de cette communautĂ© du Minou oĂą,  marins, gardiens de phares, techniciens, cultivateurs, voisins, durant des annĂ©es ont donnĂ© vie Ă  ce site dĂ©sormais protĂ©gĂ©. 

Le temps passe, nous n’y pourrons rien changer. Le bistrot, épicerie, marchande de bonbons et de cartes postales de Mélie est depuis longtemps fermé.

C’est lĂ  que je laissais mon vĂ©lo avant de prendre le car qui m’emmenait Ă  l’école Ă  Brest nous rĂ©vĂ©lait il y a quelques jours l’un de nos adhĂ©rents. Les souvenirs reviennent. 

Pierre et Yves, matelots et vigies du Minou, bien avant la crĂ©ation de notre association viennent dĂ©sormais complĂ©ter le puzzle que nous tentons de reconstituer. Grand merci pour leurs tĂ©moignages et leurs photographies d’autant plus prĂ©cieuses qu’Ă  cette Ă©poque, seuls les couchers de soleil Ă©taient autorisĂ©s.

  • Yves et Pierre souhaitaient dĂ©dicacer ce tĂ©moignage en souvenir de Pierre et Corentin. Veilleurs dĂ©sormais Ă©ternels partis trop tĂ´t tout lĂ -haut, pour allumer les Ă©toiles.

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