Sous les ronces l’histoire

Les Vigies des broussailles

Entre nos doigts, impossibles à emprisonner, le temps comme le vent et l’eau s’écoulent sans que l’on puissent les attraper. L’envie vous prend parfois d’évoquer des souvenirs, de les partager ? Les Vigies du Minou ont crée pour cela le salon discret “collecte de mémoire” Nous serions ravis de vous y recevoir.

Recherchant des documents sur l’environnement du phare, sur son histoire, les Vigies s’intéressent aussi aux collectionneurs de cartes postales.  Il y a probablement chez vous, quelques clichés sépia qui meurent d’envie, au fond d’un tiroir de nous faire profiter d’une fenêtre entrouverte sur le temps passé. 

Collection de cartes postales de Nadine Curel

C’est ainsi qu’il y a quelques mois, entre deux pages d’un album bien classé, nous avons découvert une scène journalière au Petit Minou. Depuis tout ce temps une jeune femme habitant la vallée vers 1920 avait encore tant de choses à nous raconter. Nous l’appellerons Marie.

Juste après guerre, Marie vêtue d’une longue robe sombre, un grand tablier, en sabots sur la photographie noir et blanc, porte à son bras un grand panier. 

Au fond de la vallée, sur ce chemin qui à l’époque pour des personnes qui se déplaçaient beaucoup à pied, n’était pas encore qualifié de grande randonnée, Marie remontait le sentier d’un pas décidé.

Un éditeur de cartes postales, s’intéressait alors au phare du Petit-Minou. Cet après-midi là, alors qu’il allait installer son encombrant matériel, le photographe  aperçut de loin Marie qui approchait.

Cette scène, comme si vous y étiez, c’est Marie qui nous la raconte, à demi-mots écrits au dos de la carte postale qu’elle expédie quelques semaines plus tard à ses amis.

Je vous envoie cette carte parce que je suis dessus. J’allais au lavoir nous dit-elle lorsque l’on m’a prise en photo et voilà que maintenant, pour deux sous, on peut se payer ma tête. Amusée sûrement et pas moins fière, Marie racontait à qui voulait l’entendre qu’un photographe lui avait demandé de poser un court instant pour une carte postale.

La lavandière, comme son image capturée sur la pellicule était toute retournée par cette histoire.  Et ma lessive, avec tout cela, il fallait vite retrouver le chemin du lavoir.

Bien des années plus tard, par quel hasard, découvrant la carte postale, remerciant le collectionneur, en relisant ce texte la curiosité des Vigies était éveillée. 

Un lavoir sur le sentier qui mène au phare? Marie évoquait peut-être un autre endroit, plus haut, plus proche du ruisseau? 

La vallée du Minou vers 1935 – le lavoir, la maison des câbles, l’hôtel de la plage, le moulin.

Un autre témoignage plus récent vint confirmer la présence de plusieurs  points d’eau dans la vallée du Minou. Il y avait, il n’y a pas si longtemps, un moulin et de nombreuses cressonnières.

Vers 1960, nous chuchote notre nouvelle source, j’étais encore une enfant. Je me souviens bien, en rentrant de la plage, nous allions rincer nos maillots à l’eau claire d’un bassin. 

Guidés par leur instinct et par Marie, comme des anguilles cherchant à remonter le ruisseau et le fil de cette histoire, les détectives des Vigies ne tardèrent pas à retrouver, le long de ce sentier, un mince filet d’eau.

Le printemps approchait la végétation allait repousser, c’était pour nos impatients enquêteurs l’occasion de fouiller un peu sous les ronces. 

Un muret de béton, là, venait d’être découvert juste au bord du sentier. Un bon mètre cinquante de ronces de l’hiver dernier, séchées, entremêlées recouvrait un petit monticule. Il nous fallait débroussailler cette histoire.

C’est ainsi que quelques mots écrits par notre lavandière soixante quinze ans plus tôt allaient nous aider à entrevoir la vie d’un hameau entre terre et mer au creux de cette vallée.

Au pied du plateau du Petit-Minou, là où jusqu’à la dernière guerre était cantonnée une garnison de militaires, au pied des roches plusieurs sources coulaient. Pour le fort, pour la garnison l’eau était nécessaire. A quelle époque l’eau des sources fût elle capturée? Vauban et ses stratèges réorganisant les défenses et casernements du Goulet peut-être nous le diraient?

De curieuses constructions

Un abri de béton sans fenêtre, à ses pieds une citerne d’où suinte l’eau des sources. Une canalisation bouchée repose sur un muret renversé. Les yeux des Vigies sont aux aguets du moindre détail pour essayer de dater et de comprendre l’utilité de ces constructions désaffectées le long du sentier côtier. Là, sur les briques cimentées, une date vient d’être trouvée, regardez, 1945 juste après la guerre et à côté il y a même la trace de la main du maçon qui les a assemblées.

Les premiers coups de faucilles, de tailles-haies donnés, la structure du bassin commençait à se dessiner. La surface du chantier autorisée par le conservatoire du littoral et par Brest métropole était d’environ 150 m2. Cela nous permettrait de répartir nos bénévoles très motivés sur le terrain en respectant les mesures sanitaires. Un petit jardin avec vue sur mer dès 9h30 ce samedi matin nous offrait un imprenable belvédère. Le temps était frisquet mais bien à l’abri des vents du Nord nous allions vite nous réchauffer, un petit café avait même été préparé.

Notre crainte était de découvrir sous les ronces une structure très endommagée. Heureusement les bords du bassin que nous mettions à jour semblaient en très bon état. L’intérieur du bassin avait été comblé par de la terre et nombreuses pierres.

La tâche fut difficile, les vigies se relayaient, Jean-Paul piochait, Rémy à la pelle, remplissait les seaux, Gilbert infatigable évacuait les gravats. Enfin, le fond du bassin apparaissait et nous laissait entrevoir une dalle en bon état.

Un grand moment partagé fut celui de la mise en eau. Le bassin semblait étanche, pourquoi attendre. L’après-midi on ramena un bout de tuyau d’arrosage pour remplacer la vieille canalisation bouchée. Un mince filet d’eau commençait à couler sous les commentaires enthousiastes des bénévoles venus renforcer l’équipe. Pas plus de six personnes, il fallait en plein air aussi, respecter les consignes.

Jadis, dans nos villages, nos adorables grands-mères, tenaient dit-on volontiers conseil communal et parfois tribunal populaire autour du lavoir. Cet après midi là, les hommes s’étaient accaparé leurs places papotant autour du bassin. L’eau de la source commençait à recouvrir la dalle, les dames de l’association auraient pu y prendre ombrage. Voilà nos adhérentes s’emparant des deux grands balais de chantier, brossant les bordures et le fond du bassin avec plein d’énergie pour que l’eau claire de la source n’y soit pas souillée. Et quatre hommes pour les encourager. Vous ne verrez pas la photo au risque pour les Vigies de se faire traiter de machos. La parité fut enfin respectée, sous les rires et les encouragements nous nous en sommes bien amusés.

Un hydraulicien qui passait par là, d’un bout de chiffon nous fit un bouchon de fortune pour obstruer l’évacuation du fond du bassin. Assis sur le bord, laissant silencieusement l’eau de la source, remplir à nouveau le lavoir, j’ai cru un instant distinguer une petite étincelle dans les yeux de l’une de nos bénévoles. Toutes ces années après, elle venait de retrouver au travers du miroir un peu de sa jeunesse et la malice de ces cinq ans. En remontant de la plage, maman nous avait dit, à ma grande soeur et à moi de rincer nos maillots ici avant de rentrer. Je ne sais plus qui avait commencé, nous nous étions un peu chamaillées en riant toutes éclaboussées.

Encore des idées

Le bassin remis en eau, notre prochain projet va consister à remplacer la conduite d’alimentation temporaire entre la citerne et le lavoir. Un muret de briques mérite d’être consolidé. Un maçon inconnu y a gravé une date et même laissé l’empreinte de la paume de sa main c’était hier, en 1945. A travers les âges, il nous donnera peut être quelques conseils avisés.

Un projet artistique

Dans le cadre des prochaines journées de la nature, en coopération avec la mairie de Plouzané et les Vigies du Minou, une artiste plasticienne pourrait réaliser prochainement une sculpture végétale sur les parois de ce local désaffecté. Nous attendons les autorisations nécessaires. Nos partenaires et les bénévoles de l’association nous permettent modestement de réaliser ces travaux sur le petit patrimoine du littoral. Pendant ce temps, une autre équipe, très encadrée, travaille à la restauration intérieure du phare.

Sous les ronces l’histoire, vous vous souvenez?

Et si Marie la lavandière nous aidait encore un peu à remonter le temps? Auriez-vous remarqué sur le bord du lavoir ces vieux câbles rouillés? Prochainement, nous remonterons le fil de l’eau, le fil de l’histoire jusqu’en 1869. La presse parisienne et locale étaient arrivées de très bonne heure ce matin du 19 juin sur la plage du Petit-Minou mais, cela fera l’objet d’une autre histoire.

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